dimanche, janvier 22, 2006

La survie imposée ... pire que l'acharnement thérapeutique !



Il y a plus de 30 ans, quand j'ai commencé mes études d'infirmière, impressionnée par l'horreur qu'inspirait le cancer dans la population, j'ai interrogé mes professeurs. Pourquoi les gens ont-ils si peur d'avoir un cancer ? Parce que – m'ont ils répondu les autres maladies on en meurt, le cancer on en « crève ».


Force m'est de constater que maintenant c'est souvent le contraire.


Lorsque certains cancéreux, échappant aux progrès considérables de la médecine, évoluent vers la phase finale, leur agonie est prise en charge avec sagesse, les équipes de soins palliatifs font un excellent travail et permettent à ces personnes de finir leurs jours dignement.


Las ! Les autres pathologies sont rarement conduites à leur terme de cette manière.


Un ecclésiastique se révoltant contre l'euthanasie des déments disait récemment qu'il fallait laisser les vieillards s'éteindre doucement. Mais cette fin douce est devenue si rare ! A moins d'avoir la chance de s'éteindre dans son sommeil après une vieillesse en relative bonne santé.


Lorsqu'une pathologie potentiellement mortelle survient, les médecins traitants envoient leurs patients à l'hôpital. Lorsqu'après quelques jours le risque morbide s'est éloigné, dans certains cas, l'interniste se trouve devant un patient très diminué, totalement dépendant, bien stabilisé, sans espoir d'amélioration significative.


La question qui devrait alors se poser est la suivante : l'évolution naturelle de ces patients étant le décès par incapacité d'assumer eux-mêmes les fonctions vitales, faut-il maintenir l'assistance médicale ou les laisser « s'éteindre doucement » avec le soutien de toute la panoplie des soins palliatifs ?


Les réanimateurs sont souvent confrontés à cette question en services de soins intensifs et il est fréquent et admis de débrancher une assistance respiratoire devenue vaine. Par contre, il n'en va pas de même dans les services de médecine interne où certains patients ont une autonomie respiratoire mais pas alimentaire.


L'alimentation et l'hydratation artificielles ne sont pas considérées par le corps médical sur le même pied que l'assistance respiratoire. C'est pourtant tout aussi vital, même si l'arrêt de ces soins est suivi de la mort naturelle en quelques jours au lieu de quelques minutes. Il est rarissime de voir un médecin proposer l'arrêt de l'assistance alimentaire.


On se retrouve donc avec des personnes dont toutes les fonctions sont extrêmement altérées, maintenues en vie par des perfusion et ou des gavages pendant des périodes parfois très longues et sans l'accord du patient, incapable d'exprimer ses souhaits. L'accord des familles à un tel maintien a parfois été demandé, et parfois carrément extorqué. En effet, comment un époux, un fils, un frère, pourraient-ils prendre cette responsabilité si on leur dit : « si on ne le gave pas il va mourir et ce sera de votre faute » ou « ne pas le nourrir est de la non assistance à personne en danger » !


De telles phrases nient la valeur des soins palliatifs qui n'ont effectivement pas pour but de prolonger la vie, mais nient également toute reconnaissance de l'état d'agonie et donnent de faux espoirs aux familles complètement désorientées. L'alternative entre la survie imposée et les soins palliatifs est très rarement proposée aux proches en dehors des cas de cancer.


Il manque une logique dans le processus médical : l'action prise en urgence, forcément sans connaître quelles seront les séquelles finales devrait impliquer de reconsidérer l'ensemble des soins régulièrement en fonction de l'évolution de la situation. Ce n'est pas parce qu'une technique de soins est entamée qu'il faut nécessairement la poursuivre. Ce n'est pas parce qu'une technique de soins est simple et courante qu'elle est moralement justifiée.


Chaque fois que je branche un gavage à une personne dans le coma ou complètement démente ou sénile je dois me dire : de quel droit dois-je l'obliger à survivre ?


Les techniques de survie (perfusion, respirateur, dialyse, gavage, ...) ne tendent pas à la guérison mais suspendent le processus morbide naturel afin notamment de permettre aux thérapeutiques curatives d'agir. Dès lors comment justifier ces techniques s'il n'y a plus d'espoir d'amélioration de l'état et aucun consentement explicite ?


L'acharnement thérapeutique – que tous les médecins disent ne pas pratiquer – est au moins sous-tendu par un espoir de guérison ou d'amélioration.


La survie imposée n'est justifiée que par ... rien d'autre que la peur de prendre une décision difficile. Pour aider à cette prise de décision je ne puis que recommander à tout un chacun de réfléchir à ces situations, d'en parler en famille et avec son médecin traitant.



Mireille Paquot

Infirmière graduée